6.06.2014

Avant-propos


   Vous tenez dans vos mains un livre qui va chanter les louanges des épaves de la science académique, des jeunes filles insomniaques qui perdent la mémoire devant une copie d'examen, des cohortes d’élèves victimes de violence symbolique, des chercheuses que la science a rendues acariâtres, des scientifiques hors pair qui s'écoeurent de la recherche.

   Parler de science c'est raconter une histoire du monde, une histoire dominée en Occident par les symboles de la Renaissance et des Lumières. Dans notre imaginaire collectif, les géomètres de la nature sont des hommes, de préférence Européens, plutôt aisés. Ils sont passionnés par la mécanique au point d'en faire un modèle pouvant tout décrire, du système solaire au corps humain. Imaginons-les siégeant autour d'une table dans une salle aux décorations cossues, à l'Académie des Sciences. Aux murs sont suspendus les portraits de leurs héros, qui leur ressemblent. L'air pèse de cette sérénité agressive que donne la suffisance.

   Dans l'ombre des tentures surannées s'agitent des personnages étouffés qui crient une autre histoire du monde: inventeurs découragés, sorcières carbonisées, mouettes engluées, espèces menacées. Médecins qui en ont assez de faire un boulot de mécanicien. Aborigènes qui pleurent des larmes de leur terre ... Une pluralité de voix, un choeur fier de sa diversité, méritant de siéger parmi les penseurs de la nature, sans intention de les combattre. A l'aube du troisième millénaire, les conversations peuvent s’étendre par delà les archétypes et les antinomies simplificatrices, comme par exemple devoir choisir entre décrire le monde à l'aide des mathématiques, à l'université des sciences, ou du langage, à l'université des lettres. Maintenant que le progrès nous a transformés en apprentis sorciers planétaires, ces voix discordantes sont nécessaires, car porteuses d'autres façons de penser et de raconter la nature. Elles ont droit de cité. Des ingénieurs parlent de lâcher des tonnes d'aérosols dans l'atmosphère pour répondre au changement climatique1: demandera-ton l'avis des Aborigènes australiens avant de jeter un voile devant leur Soleil ?


   On devient scientifique par soif de pouvoir ou de contemplation.2 Jouer avec les gènes ou comprendre le Big Bang peut donner un sentiment de maîtrise, de puissance. Après l'invention de la bombe atomique, les physiciens sont devenus des demi dieux. Pourtant les mystères de la nature, de l'origine des verrues à l'énergie noire du cosmos, demeurent innombrables ; nous sommes fondamentalement des ignorants. La science est aussi un hymne d'amour, tendre, respectueux et admiratif.


   Nous sommes conscients du potentiel d'auto-destruction de notre espèce, et nous avons encore le choix de nous réinventer. L'ère des conquêtes est révolue : repousser les limites de la planète, c'est tomber de la falaise. La quête du vingt-et-unième siècle, c'est faire la paix avec la biosphère, apprendre à travailler en partenariat avec la Terre, au lieu de chercher à la maîtriser. Ce changement de paradigme nous appelle à tisser un nouvel imaginaire collectif, broder de nouvelles métaphores, et conter des histoires inédites. Peut être même à engendrer une cacophonie qui fera naître de nouvelles harmonies.


   Dans la culture des Premières Nations du Canada, un personnage essentiel à l'équilibre de la tribu s'appelle le « trickster »3. Une sorte de fou du roi qui vient dérouter, perturber, initier la réflexion. En France, il s'exprimerait par la bouche du renard de St Exupéry4. Ce livre vous propose une collection d'histoires, des réflexions, d'exercices même, pour se bousculer l'esprit. Ce n'est pas un texte académique, une ligne tendue entre une introduction et une conclusion, ni une démonstration logique et structuré : il ne prend pas le TGV. C'est un bric-à-brac où vous pourrez fouiller pour créer vos propres histoires, façonner vos propres convergences. Un champ de fleur où les abeilles butinent au hasard, se posent, prennent leur temps, repartent, reviennent.

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1 Rasch et al., 2008
2 D'après la philosophe Evelyn Fox Keller
3« Trick » peut vouloir dire astuce, tour de passe-passe, ou encore le « truc » du prestidigitateur.
4Celui qui se fait apprivoiser par le Petit Prince.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci Béatrice pour cette reflexion pédagogique qui est pleine de bon sens et qui rend immédiatement la machine éducative française désuette et tellement pauvre en créativité.
Parent, je pleure devant les cours de mon fils de 14 ans basés exclusivement sur de la théorie brutale et sans aucune porte de sortie vers le monde qui l'entoure. On ne peut pas prétendre intéresser une personne sans être préalablement connecté à son environnement.

Je garde précieusemement le Mage et l'abeille.
Bonne journée
Laurent
Professionnel de la communication et du Marketing et parent attentif aux bonnes idées !


.

Anonyme a dit…

L'ère des "conquêtes" dans le cadre des pulsions primaires de dominations, d'exploitations et d'éliminations des plus faibles "naturelles", doit disparaître. C'est un apprentissage. Un nouveau
paradigme à plusieurs entrées. C'est le propos du livre de Béatrice Darach "Le mage et l'abeille". Un texte qui mérite une diffusion de masse tellement, sans prétention pédante, il nous raconte les
histoires de demain avec la nécessaire diversité des approches. Un texte qui au cœur d'une biographie nous propose un devoir "d'optimisme" et "d'imagination" comme refus conscient de l'auto-
destruction en cours. Mais, surtout comme enseignante Béatrice Darach nous interpelle de manière pédagogique sur la transmission.
Développement, transmission, pluralité nécessaire des voix, nous sommes, hors des archétypes consensuels, pragmatiques, dominants, dans
le quotidien d'un itinéraire singulier qui nous invite de tisser un nouvel imaginaire collectif. Alain HOGER.

Anonyme a dit…

Merci pour toutes ces idées revigorantes et positives qui donnent à réfléchir sur nos pratiques éducatives françaises... Donnons confiance ! A bientôt, à Toulouse ou ailleurs. Christophe

Anonyme a dit…

Je ne reviendrai pas sur les commentaires précédents qui sont d'une grande justesse !


Je l'a connais bien !
Elle m'a formé à Toulouse !
Laissez-moi vous dire qu'elle est drôle, pertinente et en plus belle !
Un admirateur silencieux....