Inventer les histoires de demain


A quoi bon vivre si nul jamais n'enchante le monde ?
Michel Serres

   Vivre à Vancouver m'a permis de m'ouvrir l'esprit à d'autres façons de parler de la nature et d'enseigner les sciences. Je suis entourée de collègues qui se font un devoir de réinventer l'éducation en permanence. C'est une des caractéristiques de la Côte Ouest, une terre de pionniers et d'aventuriers, qui ont abandonné leurs racines pour tout reconstruire. Imaginer l'avenir est leur passe-temps. Positiver est un sport national.

   Un matin de printemps, tous les cerisiers de Vancouver étaient en fleur, et je regardais ma classe calculer avec application l'énergie gaspillée par ampoule à incandescence. Je réalisai alors que désespérer, c'est insulter nos enfants ; j'ai envers eux un devoir d'optimisme et d'imagination. L'impuissance ne doit pas servir d'excuse. Nous avons le choix des histoires que nous faisons circuler, elles représentent une opportunité d'influencer l'imaginaire collectif. Rien ne nous empêche d'infléchir les stéréotypes et les métaphores qui forment la toile de fond d'un cours ou d'un documentaire de vulgarisation.

   Rabâcher sans relâche un état des lieux écologique catastrophique n'allume pas la lumière au bout du tunnel. Les bâtisseurs de cathédrales ne commençaient pas une construction en énonçant à leur équipe la liste de tous les problèmes qui sûrement empêcheraient le projet de voir le jour. Et puis nous surestimons notre pouvoir de prédiction. Après l'explosion du Mt St Hélène aux Etats-Unis, le désespoir gagna la population qui pensait que le paysage lunaire perdurerait pendant au moins un siècle. Trente ans plus tard un écosystème s'était restauré.

   L'internet nous bouscule et impose aux enseignants de se renouveler constamment. Tous les cinq ans, je fais face à une nouvelle e-génération d'étudiant-es, avec de nouvelles pratiques, de nouveaux besoins, et de nouvelles exigences. Il peut être épuisant d'être née à un moment charnière de l'humanité, mais je n'ai pas d'autre choix que me ré-inventer. Les MOOC1 se multiplient, Youtube offre des documentaires bien plus attrayants qu'un cours au tableau noir. Si je ne propose pas quelque chose qui s'inscrit en complément du multi-média, si je continue à faire cours sur des transparents en plastique non recyclable avec des feutres indélébiles qui sentent le 20e siècle, je vais lentement perdre ma crédibilité, devenir une imitation de Wikipedia.

   Entre crise écologique et révolution électronique, les professeurs se retrouvent à la croisée des chemins. Puisque beaucoup sera remis en question, notre chantier est de faire les bons choix pour l'avenir, et d'interroger les traditions. Au cœur d'une révolution, on peut se lamenter sur ce qui meurt, ou devenir un acteur de ce qu'il adviendra. Les élèves représentent une force vive, créatrice, qui a soif d'aller de l'avant. Si je refuse de les suivre, je prend le risque de m'enfermer dans un conflit de génération.

La classe mosaïque

   J'ai appris que si l'on désire que les élèves affectionnent la biodiversité, il faut commencer par envisager la leur comme une chance, et multiplier les occasions de valoriser leur potentiel. S'il faut mettre des notes, on peut faire le choix de noter la qualité de travail fourni, le degré d'engagement, la capacité de synthèse, l'inventivité.

   Il est des tribus autochtones où le conseil du village s'assoit en cercle, et seule la personne qui tient la plume sacrée a le droit d'utiliser sa voix. La plume passe de main en main, jusqu'à ce que tout le monde se soit exprimé. On a le droit de dire « je passe ». Le but n'était pas de décider qui a raison, qui est pour et qui est contre, mais de rechercher la décision qui sera la plus bénéfique à la communauté. Cette stratégie est utilisée dans certaines écoles à Vancouver. Une classe « mosaïque » est une communauté basée sur le principe : « Un-e élève, une voix. » Elle met l'accent sur les qualités de chacun, pas uniquement sur les quantités, comme les notes. La définition du succès n'est pas basée sur un classement. Les notes ne sont pas rendues publiques. La réussite collective a autant d'importance que la réussite individuelle. Certains enseignants au Canada font travailler les élèves en groupes et accordent un bonus de 1 point à chaque membre si la moyenne du groupe à l'interrogation écrite dépasse 12/20.

« Médian, l'élève moyen »

Médian n'est ni blond ni brun. Les cheveux mi-longs, de taille moyenne, il pourrait passer inaperçu ; d'ailleurs, il n'existe pas. Pourtant il est la star des pédagogues qui pratiquent les statistiques. Ils s’intéressent de près à ses résultats scolaires, à ses méthodes d'apprentissage, au fonctionnement de son cerveau. Tout le monde sait ce qu'il pense en début d'année, et le ministère décide ce qu'il devra connaitre 10 mois plus tard. On s’étonne qu'il puisse oublier tant de savoirs fondamentaux pendant les vacances d'été. Peut être parce que ses parents sont divorcés (à 44,3%). L'ennui avec Médian, c'est qu'étant une moyenne statistique, il n'a aucune qualité.

Médian est l’élève cible de Mr Leclerc, le prof de physique. Mr Leclerc a toujours aimé l'ordre et la raison. A la crèche, pour se rassurer, il prenait la boîte contenant les 273 figurines en plastique et les groupait par couleur, puis les ordonnaient par taille. A l'adolescence, il a été séduit par les mathématiques qui lui proposaient une vision rectangulaire et immaculée du monde. Les complexités de la nature humaine lui évoquent le malaxage de l'argile, or c'est un maniaque de la propreté. Après des études brillantes, une année de torture pour préparer l'agrégation, et un passage au grill pour décrocher le concours, il s'est retrouvé avec bonheur devant des élèves pour leur communiquer sa passion, pour les convaincre de sa vision du monde.

Mr Leclerc a un faible pour les particules. Lorsqu'il règle le canon à électrons du lycée, il peut décider exactement du point où le faisceau atteindra l'écran: chez les électrons, tout le monde est dans la moyenne. Dans la revue trimestrielle des professeurs de sciences, il lit les articles à propos de Médian. Cela l'aide à comprendre ses élèves.

La nature est l'ingénieure suprême

   Une nouvelle branche de la biologie, appelée biomimétisme, part du principe que la Terre est un laboratoire exceptionnel : 3.5 milliards d'années ininterrompues d'expériences avec le vivant. Elle reconnaît que la nature excelle à trouver des solutions qui consomment peu d'énergie et produisent des déchets 100% recyclables. Dans le contexte du développement durable, la nature apparaît comme l'ingénieure suprême dont le savoir et la créativité dépassent notre imagination. Des ingénieur(e)s ont déjà copié des nageoires de baleines pour fabriquer des éoliennes, des feuilles de lotus pour inventer des édifices auto-nettoyants, des immeubles qui se rafraîchissent par circulation d'air comme des termitières. 
   Si l'on pense aux dessins de machines volantes par Léonard de Vinci, ou au Velcro qui copie les petits crochets des grandes bardanes, le biomimétisme est aussi vieux que l'espèce humaine. La nouveauté, c'est que les ingénieurs qui ont un problème à résoudre vont demander à des biologistes de trouver dans l'environnement la solution trouvée par la nature. Cette dernière n'est plus perçue comme une ressource que l'on peut piller, mais comme une enseignante. C'est une démarche connue des pharmacologues, qui s'alarment de l'extinction des espèces de plantes qui recèlent les secrets de guérison des maladies de demain.

Le bureau des patentes

   Juliette est fascinée par le biomimétisme depuis qu'elle a appris comment les coquillages forment de la nacre comme un boulanger prépare un mille-feuille: une couche de minéraux déposée par la mer, une couche de protéines, une autre couche de minéraux, une autre de protéines, etc... Des ingénieurs ont volé cette idée aux coquillages pour fabriquer des pare-brises de voiture. Résultat : des pare-brises sept fois plus solides et une consommation d’énergie réduite.
   Lors d'une intervention dans une école, Juliette demande aux enfants de CM2 de former un bureau des patentes qui doit décider à qui reviennent les royalties des inventions suivantes: le rein artificiel, le TGV Japonais en forme de bec de martin pêcheur, le chien-robot, les androïdes et le sonar. Les enfants font des recherches sur Internet puis se retrouvent autour d'une grande table. Ils prennent leur rôle très au sérieux et se composent des allures de grandes personnes, comme à la télé, sauf qu'ils se font passer la plume sacrée pour apprendre à écouter les autres. Pour Austin, le rein naturel a une allure dégoûtante, mais il est une merveille de petitesse à côté du rein artificiel grand comme une armoire. Coralia pense qu'il est malvenu d'appeler le TGV Japonais un «bullet2 train» puisqu'une balle de revolver peut tuer le martin pécheur qui a inventé la forme du train. Léa trouve que le chien-robot est moins recyclable qu'un chien naturel. Colin ne comprend pas comment un ingénieur peut passer sa vie à se re-inventer lui-même sous forme d'une machine. Quant au sonar, inventé par les baleines, les enfants décident que les fabricants de sous-marins verseront 5% de leurs bénéfices à une association qui nettoie les océans. 
   Sur le chemin du retour, Juliette s'étonne de la sagesse spontanée de ses élèves. Elle se demande: «Leur a-t-on dit que certaines plantes savent compter?» Elle feuillette son livre d’étudiante en physique: Rien sur les requins qui savent mesurer des champs électriques, les oiseaux qui perçoivent les champs magnétiques, les plantes qui utilisent la mécanique quantique. On s’émerveille qu'un ipod connaisse sa position dans l'espace, mais qui se rend compte que nous avons un accéléromètre 3D dans l'oreille interne, d'une durée de vie 20 fois supérieure?

Compétition

   On peut argumenter que la compétition est nécessaire au succès : tout comme dans les écosystèmes, il faut « manger ou être mangé ». Je n'ai jamais compris le sens de cette expression. Pour un lion, ce serait plutôt « manger ou mourir de faim » puisqu'un lion en forme n'a pas de prédateur. Quant à la gazelle, « brouter de l'herbe ou être mangée » n'est pas un dilemme puisqu'elle pourra toujours brouter plus tard si elle échappe au lion. Mais la question n'est pas là : la classe n'a pas pour vocation d'imiter la nature, elle peut transcender les métaphores animalières. Et s'il fallait s'inspirer de comparaisons biologiques, nous pourrions parler des insectes pollinisateurs, qui se nourrissent en enrichissant la nature, ou du triangle ours-poisson-forêt. Dans les forêts qui longent le Pacifique, chaque ours amène des centaines de kilos de saumon dans le sous-bois pour les manger. Il ne consomme que ses morceaux préférés, abandonnant parfois jusqu'à 95% du poisson sur le sol. C'est pourquoi les arbres sont si grands. Sans l'ours, ils ne pourraient pas trouver d'azote.

   Je suis récemment allée chez un allergologue. Il concevait sa pratique comme une chaîne d'assemblage. Tandis qu'il ânonnait des vérités que je ne partageais pas, je me demandais quel étudiant il avait été, comment il avait réussi à intégrer l'université de médecine, quelles étaient ses motivations à 18 ans pour devenir docteur. Parmi mes élèves, la réponse est en général : « l'argent ». Je l'imaginais stressé par l'hyper compétitivité des concours, et quelles compétences il avait mises en œuvre pour survivre. Combien d'heures passées à bûcher les maths, au lieu de lire des livres pour comprendre la psychologie des patients ou la culture des populations immigrées ? Je pensais aussi à son ami Julien l'empathique, qui avait abandonné la prépa, écoeuré.

   La compétition à outrance agit comme un filtre, qui ne laisse passer que les « gagneurs ». Un gagneur fait-il un bon médecin, un bon ingénieur, une bonne chercheuse ? A quoi ressemble le milieu de la recherche s'il n'est peuplé que de gagneurs qui se réalisent en se prouvant qu'ils sont supérieurs aux autres? J'ai rencontré un astronome qui se faisait appeler Kepler...

   En quittant le médecin, je pensais à Anna, qui à dix ans déjà pouvait déceler les zones de souffrance d'un animal en le caressant. Hypersensible, pleine de compassion, Anna est émotive et elle échoue à ses examens de mathématiques : elle ne pourra pas devenir vétérinaire. En s'écartant de la normalisation, l'école peut-elle éviter le gâchis de talents, reconnaître la profondeur de raisonnement d'un élève très lent, l'altruisme d'un futur Abbé Pierre, le besoin de liberté d'un explorateur, et l'intelligence collective de ces trois personnes travaillant de concert ?

   La compétition est censée stimuler la recherche scientifique. Il faut reconnaître qu'elle stimule certains chercheurs, mais pas tous. Demandons à des sociologues d'évaluer le coût de la compétition en terme de stress, de maladie, de vols de résultats, de complots, de chercheurs qui font le tour de plusieurs pays pour vendre leurs travaux, de résultats approximatifs calculés à la hâte, voire de résultats faux fabriqués pour sauver un emploi. Dans un monde hyper-médiatisé, les scientifiques qui percent ne sont plus toujours les esprits les plus brillants, mais souvent les meilleurs marchants de foire.3  La compétition ne révèle pas que le meilleur de nous-mêmes: Galilée a oublié de citer Giordano Bruno et Kepler, Newton a fait l'impasse sur les travaux de Hooke et a intimidé Flamsteed pour accaparer ses données sur la mouvement de la Lune. 

Varier les points de vue

   L'être humain reste le point de référence de notre vision du monde. L'échelle des puissances de dix est centrée sur le mètre, à peu près la taille d'une jambe. Les puissances de dix négatives (10-1m, 10-2m, 10-3m, etc) nous amènent vers l'infiniment petit, et les puissances positives ( 10+1m, 10+2m, 10+3m) vers les dimensions du cosmos.

   Changeons nos points de référence. Sur les terres émergées, il y a environ 1000 fois plus de biomasse sous forme de plantes que sous forme d'animaux, dont les humains ne sont qu'une petite fraction. Les termites représentent à elles seules plus de biomasse que notre espèce. Cette planète ne nous appartient pas. Les bactéries représentent 1000 fois plus de biomasse que les animaux : chacun d'entre nous héberge 10 bactéries pour chaque cellule de corps humain, 1 000 bactéries pour chaque étoile dans notre galaxie. Une seule d'entre elle, pour peu qu'elle soit un peu créative, peut décimer l'humanité. Que nous raconterait une bactérie si nous pouvions l'interviewer ?

   Quand David Abram4 regarde une image de notre planète moitié bleu-jour, moitié bleu-nuit, il entend le chant des oiseaux qui, dans un pays après l'autre, célèbrent l'aube et le crépuscule ; un orchestre qui suit les mouvements de la Terre.



   On peut s'imaginer dans la peau d'une baleine à bosse qui choisit sa photo préférée de la planète sur internet. Elle prend une Terre couverte d'eau où les humains sont insignifiants : elle a placé l'Océan Pacifique au centre de l'image.


   Les professeurs contribuent à l'imaginaire collectif en inventant des analogies. Une enseignante du primaire peut décider de faire un parallèle entre la Terre et un être vivant. Les veines et les capillaires deviennent les rivières et les ruisseaux. Le foie et les reins sont l'humus et le sable, la fièvre le changement climatique. Tout rejet polluant dans une rivière se diffuse alors tel un poison dans les veines.

Réponses multiples

   Les exercices de sciences à solution unique peuvent être corrigés par des ordinateurs. Si je ne veux pas être remplacée par une machine, il faut que je propose des exercices exploratoires, de recherche, d'analyse ou de synthèse, et ne pas avoir peur de poser des questions qui appellent une réponse sous forme de phrase. La pensée orientale nous apprend que le monde est une mosaïque de qualités. Michel Serres nous dit que « la crainte de la solution unitaire fait le commencement de la sagesse ». Si la science est l'étude de l'essence des choses, bachoter des annales ne doit plus être la recette du succès.

   Les problèmes à solution unique favorisent les élèves ayant un esprit convergent au détriment des élèves à l'esprit divergent. Imaginez que vous posez une question à une élève. La voilà qui hésite, fronce les sourcils, et ne sait que répondre. Votre question a déclenché dans son esprit un feu d'artifice de possibilités. La seule réponse succincte qu'elle peut vous donner c'est « ça dépend », mais se doutant bien que ça ne va pas vous plaire, elle reste muette. Elle est en échec. Pourtant, des années plus tard, vous découvrirez qu'elle a pondu un excellent rapport imaginant toutes les conséquences possibles de l'utilisation des OGM.

Voici un petit exercice que je vous engage à butiner.

1 - «Que mesure-t-on avec un thermomètre à mercure ? »

Votre réponse : _______________________________

____________________________________________

2 – Que pensez-vous des réponses suivantes?

  1. « La température de la pièce ».
  2. « La vitesse moyenne d'agitation des molécules ».
  3. « Une distance de quelques centimètres, car en fin de compte, ce thermomètre, c'est avant tout une règle graduée ».
  4. « Le coefficient de dilatation thermique du mercure. »
  5. « Ça dépend si le thermomètre est accroché au mur ou trempe dans un liquide. S'il trempe, c'est plus compliqué, parce qu'une partie du mercure est encore en contact avec l'air. Cependant, vu qu'il y a beaucoup plus de mercure dans le petit réservoir du bas que dans le tube, peut-être que cet effet est négligeable. Il faudrait vérifier. »
  6. « Rien. Le mercure est toxique, les thermomètres au mercure ne sont plus utilisés car ils se retrouvaient dans les décharges et le mercure s'infiltrait dans le sol, allait rejoindre la nappe phréatique, contaminait les poissons, et maintenant il s'accumule tellement dans les poissons carnivores comme le thon que si les femmes enceintes en mangent, leur bébé a des malformations du cerveau. Mais quand j'étais petit, ma grand-mère utilisait un vieux thermomètre à mercure pour savoir si j'avais de la fièvre. »

Vos commentaires :









Les images ne sont pas anodines

   Ouvrez un manuel scolaire de physique, de chimie ou de biologie. De nos jours, on peut espérer que les images y montrent plusieurs couleurs de peau, ainsi qu'un nombre égal de femmes et d'hommes. Avec un peu de chance, on y verra même une femme chercheure aidée par un assistant homme, ou un Noir en position d'autorité sur un blanc. Mais que dire du reste ?

Exercice : Pour chacun des mots suivants, fermez les yeux et notez les images qui vous viennent à l'esprit. Si vous n'avez aucune idée, devenez poète :). Ensuite, comparez vos réponses avec celles que vous trouveriez dans un manuel scolaire. Si vos réponses dans les deux colonnes sont similaires, regardez le monde autour de vous pour tenter de brouiller les pistes.


Mots
Vos images
Les images du manuel scolaire
1 - Accélération



2 - Poussée d'Archimède



3- Moment angulaire



4 - Chute libre


5 - Convection



6 - Aéronautique



7 – Bras de levier


8 - Aérodynamisme



Réponses possibles : (1) Guépard, (2) fœtus, (3) machine à laver le linge ou moulin à café, (4) faucon pèlerin, (5) faire cuire des coquillettes, (6) albatros, (7) ouvre-boîte, (8) martin-pêcheur.

   J'ai récemment visité une exposition scientifique où les seuls noirs représentés sur les photos étaient en train de recevoir l'aide de blancs généreux (Médecins Sans Frontières) et supérieurs (ils aidaient les populations en détresse avec leurs satellites d'observation de la Terre).

   Je m'interroge désormais sur chaque cliché que j'utilise. Quand je parle de la poussée d'Archimède, le choix m'appartient de prendre l'exemple d'un fœtus, d'un sous-marin nucléaire, d'un sous-marin d'exploration des fonds océaniques, d'un iceberg, d'une pirogue ou de parler des vessies natatoires des poissons. Si mon rôle est d'expliquer comment les objets flottent, je ne vais pas m'empêcher de parler du foetus sous prétexte qu'il fait partie de la biologie, sinon je peux aussi m'interdire les sous-marins nucléaires parce qu'ils appartiennent à un cours d'histoire sur la guerre froide. En sélectionnant des images, je choisis de parler de haute technologie et/ou de la vie de tous les jours, de maîtrise de la nature et/ou de biomimétisme, de contemplation et/ou de domination de la nature.








Réintroduire le temps

   Les livres de sciences sont figés. Ils peuvent dire qu'un acrobate fait un triple saut périlleux ou qu'un saumon remonte le courant. Ils peuvent en montrer une image, mais comment partager ce que l'on perçoit de ce mouvement quand on va au cirque ou qu'on est assis au bord d'une rivière ? On peut définir l'accélération comme un changement de vitesse, mais ce concept deviendra vivant si on en fait l'expérience en vélo ou en voiture. 
   Les diagrammes sont particulièrement un problème quand on représente un objet en mouvement, car le cerveau perçoit un objet qui ne bouge pas. Les gens atteignent un niveau de raisonnement plus sophistiqué quand on leur demande de juger des évènements réels que quand on les leur présente sur un papier5 : le simple fait de dessiner une voiture en disant « elle bouge » introduit un niveau d'abstraction, nous sépare de nos intuitions. L'accès à des vidéos est une chance inouïe de faire enfin revenir le temps dans la salle de classe. On peut illustrer comment un léopard utilise une force centrale pour changer de direction quand il court après sa proie, donner du rythme à un pendule qui se balance, illustrer les forces d'inertie en montrant de grains de riz placés sur un 33 tours qui se déportent vers l'extérieur. La ré-introduction du temps offre aux enseignant(e)s un espace créatif sans précédent.

   Un média n'est pas qu'un support de communication, il influence aussi notre perception du monde. Pour nos élèves qui grandissent dans un monde d'images et de sons, l'absence de vidéos de la salle de classe détache l'école de leur réalité. Les nouveaux outils de communication nous permettent de plus d'enseigner au rythme de l'élève. Par exemple, à l'aide d'une simple tablette graphique, on peut fabriquer des vidéos Youtube pour expliquer la résolution d'un problème. Chaque élève peut ainsi écouter les explications à son rythme, chez lui ou dans le bus, sur son Ipod ou sur un ordinateur. Je connais des élèves qui ré-écoutent la même vidéo plus de cinq fois.

      Et puisque tout se met soudainement en mouvement, on peut s'interroger sur la place que va occuper l'écrit. Prenons l'exemple, assez répandu, d'un chercheur qui fait des simulations numériques d'un phénomène naturel. Pour publier ses résultats, il doit écrire un article comprenant de longues explications, se limiter aux équations les plus importantes, et inclure des images immobiles des animations qu'il a créées. Or maintenant il peut facilement fabriquer une vidéo qui montre tout ce qui se passe sur son écran d'ordinateur: son visage qui explique, ses animations numériques,  et un tableau blanc où il fait ses calculs en les commentant. Ma fille rend certains de ses devoirs dans ce format, elle est en seconde.

   Mes élèves m'ont souvent demandé : « Madame, vous avez corrigé les copies ? » Plus la correction est proche de l'exercice, plus les élèves en bénéficient. La technologie habitue nos enfants à obtenir des réponses immédiates. Quand ils jouent à des jeux vidéos, leurs erreurs sont soulignées en une fraction de seconde. Nous pouvons créer des méthodes d'enseignement pour favoriser la correction quasi-instantanée, qui donne non seulement un retour en temps réel aux élèves, mais aussi au professeur.

   Ré-introduire le temps, c'est aussi donner le temps de la réflexion et de la créativité. Il existe des élèves très ingénieux pour qui « avoir compris » veut dire avoir exploré la connaissance avec une telle profondeur qu'ils se la sont appropriée, voire deviennent créatifs. Malheureusement, dans les examens en temps limité ces élèves n'obtiennent que des résultats moyens et se dégoutent de la matière. En leur donnant plus de temps, j'ai assisté à des résultats spectaculaires.

   Pour laisser derrière nous les clichés de l'homme maître de la nature, on peut remettre l'espèce humaine à sa place, par exemple en mettant en perspective les échelles de temps. Le temps qui nous sépare de l'invention de l'écriture6 en Mésopotamie ne représente que 0.0001% de l'existence de la Terre. Les déchets radioactifs dont nous avons la responsabilité, c'est de 2 à 200 fois plus. En Suède, vous pouvez lire un livre au pied du Vieux Tjikko, un arbre né avant le début du néolithique Européen. Dans l'Utah, aux Etats-Unis, vous pouvez marcher dans une famille de peupliers, tous issus de la même racine, qui a 80.000 ans. Nous avons aussi les moyens de découvrir le monde au ralenti, comme par exemple cette impressionnante vidéo d'une balle de golfe s'écrasant sur une plaque en acier.


« Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? »

   En cours de mathématiques, on valorise la solution la plus simple comme étant la plus élégante. En physique, on nous apprend que « si deux théories expliquent également bien un résultat, la meilleure est la plus simple». Ce qui n'est pourtant pas toujours vrai quand on cherche à expliquer les choses, et pas seulement à les prédire. Pourquoi faire l'hypothèse que la nature fait le choix de la simplicité quand elle nous offre quotidiennement un spectacle d'une extrême complexité ? Notre quête de simplicité nous a rendus attentifs aux répétitions, aux motifs symétriques, aux harmonies, à tout ce que nous pouvions explorer avec nos outils mathématiques. Ces derniers ont été récemment révolutionnés par l'apparition des ordinateurs. Il y a tant d'ingénuité dans les phénomènes émergents, aléatoires, chaotiques. Nous pouvons étendre la notion de beauté à la pagaille d'un paquet de racines, à l'imprévisibilité des nuages, ou tout simplement à la beauté des volutes formées par une goutte d'encre de Chine qui tombe dans un verre d'eau.

   La Renaissance a planté les graines des différentes disciplines : mathématiques, physique, chimie, biologie, etc. Notre soif de transcendance les a fait grandir droit vers le ciel, en de majestueux arbres centenaires. Ils ont désormais des milliers de branches, si spécialisées et focalisées qu'elles ne communiquent plus entre elles. Dans cette forêt artificielle, on peut maintenant faire croître la connaissance de manière transversale, horizontale, organique. Tendre des lianes, propager des rhizomes, rependre des spores, creuser comme des lombrics. L'université Quest7, créée par un astrophysicien visionnaire, propose aux élèves de premier cycle une formation pluridisciplinaire. Le but du premier cycle est pour chaque élève d'inventer une (bonne) question et d'y répondre.

   Comment se préparer à un monde où tout le savoir sera stocké sur internet ? Sommes nous préparés aux orages magnétiques qui peuvent perturber l'électronique pendant plusieurs jours? Quels nouveaux métiers faut-il inventer, et quels sont ceux qui vont disparaître ? Nos élèves vivent l'un des moments les plus excitants de l'histoire de l'humanité, qui entraînera des bouleversements au moins aussi fondateurs que l'invention de l'écriture ou de l'imprimerie. Je ne me prive pas de le leur répéter.

Ethique

   Dans un reportage sur Monsento, le géant mondial des OGM et des pesticides, on voyait l'interview d'un biologiste travaillant dans les serres de la firme. Je ne pus déceler aucune trace de doute ou de malaise dans ses yeux : il était convaincu de travailler pour le bien de l'humanité.
   Je fis ensuite la connaissance d'un contre-maître qui travaillait à l'extraction du pétrole dans les sables bitumineux, une opération de grande envergure au Nord du Canada qui détruit des étendues de terres sauvages, pollue de fragiles rivières, et empoisonne une nation autochtone. Il était fier de son emploi, m'expliquait que j'étais victime de la propagande des écolos gauchistes, que l'environnement se porte de mieux en mieux dans cette région: il pouvait même me fournir un DVD, produit par sa compagnie, pour me le prouver.
   A quand les cours d'éthique pour les élèves qui se destinent à interagir avec la nature ?

   Les multinationales qui se permettent de poser des brevets sur le vivant sont à l'affût des molécules contenues dans les plantes médicinales des pays en voie de développement. Les vertus de ces plantes ont été découvertes par les herboristes autochtones, pourtant leur savoir sera breveté par une compagnie occidentale. Monsento s'approprie l'invention de graines inventées par la nature, sous prétexte que ses biologistes ont changé un seul gène dans une séquence ADN. En trame de fond, c'est une vision sans scrupule d'un capitalisme pilleur, mais aussi une désacralisation de la nature qui est perçue comme une entité sans droit, à la merci de nos envies. D'où la réaction de l'Equateur, qui en 2008 a inscrit les droits de la Nature dans sa constitution:

Art. 1. La Nature, Pachamama, où la vie prend naissance et existe, a le droit d'exister, de persister, de se maintenir et de régénérer ses cycles vitaux, sa structure, ses fonctions et ses processus d'évolution.

   On peut choisir de faire de la science autrement. Des universitaires canadiens ont par exemple développé un programme d'étude de la banquise qui intègre des observations satellites et des paroles d'Inuits, qui apportent leur savoir de terrain. Cette collaboration permet aux autochtones d'exprimer leurs inquiétudes quant au changement climatique, de leur donner une voix dans le projet de recherche.

Humilité

   Nous enseignons rarement ce que les humains ignorent. Il y a les questions auxquelles nous ne savons pas encore répondre. Par exemple, 95% de l'univers est constitué de matière noire et d'énergie noire, et nous ne savons pas de quoi elles sont composées. 
   Mais il y a aussi ce que l'on croit savoir. Il ne s'agit pas de mensonges, mais d'un biais inhérent à la généralisation. Nous connaissons certains aspects des choses, et dérivons, sans prendre assez de précautions, vers des principes universels.

   Le manque de valorisation de l'ignorance peut engendrer un manque de prudence. Les ingénieurs qui ont mis du CFC dans les réfrigérateurs étaient ignorants des processus atmosphériques et des conséquences sur la couche d'ozone. Personne n'avait prédit les pluies acides, ni l'échelle des dégâts engendrés par les engrais pétrochimiques. Pouvons-nous encore nous permettre de déculpabiliser un scientifique ou une compagnie qui « ne savait pas » ? Nous devrions exiger des inventeurs qu'ils énoncent les zones d'ombres associées à leur découverte avant qu'elle soit mise sur le marché. Il serait alors difficile pour Monsento de prétendre que les aliments OGM sont sans danger pour la santé après les avoir testé uniquement sur des rats, pendant trois semaines. 
   Il y a un problème d'éthique fondamental quand une compagnie privée peut, par un acte de pouvoir donné par le savoir, poser un brevet sur un graine de maïs inventée par la nature, et ensuite faire payer aux citoyens les conséquences sur leur santé, en se protégeant derrière un bouclier d'ignorance. Si de telles réflexions sont perpétuellement absentes des cours de science, le message implicite est : faites de la science sans conscience.

Prise de conscience

   Changer nos habitudes de consommateurs et de pollueurs peut passer par une répétition de devoirs et d'interdits : « recyclez vos déchets », « ne jetez pas de peinture dans les toilettes. » Elle peut utiliser la culpabilisation : « A cause de ton sac plastique, une tortue est morte étouffée. » Elle peut aussi être une prise de conscience de la beauté, de la complexité, de l'ingénuité, de la résilience et de la fragilité de la vie sur Terre. 
    Les astronomes comparent souvent la Terre aux autres planètes du système solaire pour montrer à quel point les probabilités sont faibles de rencontrer une planète où il ne fait ni trop chaud, ni trop froid pour que l'eau soit majoritairement sous forme liquide, ni trop près ni trop loin du soleil, avec une Lune pour stabiliser le climat, de la tectonique des plaques pour régénérer la croûte, du magnétisme pour nous protéger des orages solaires, un environnement relativement libre de gros astéroïdes, etc. S'émerveiller de notre planète est-il une priorité des programmes scolaires?

   On pourrait développer une conscience des interconnections, de l'interdépendance ; expliquer comment les cellules expriment leurs gènes en fonction de leur environnement, comment les arbres communiquent entre eux, comment les habitants de l'île de Pâques ont disparu pour avoir abusé des ressources offertes par leur île. Dans un cours sur la germination on demande souvent aux élèves de faire éclore amoureusement un haricot. Au moment même où leur petite plante grandit sur le rebords de la fenêtre de la cuisine, la biodiversité des graines est tellement menacée qu'on a dû construire un bunker dans l'Arctique, à 120m de profondeur, afin de les préserver pour les générations futures: l'avenir de l'humanité est suspendu au bon fonctionnement d'un système de réfrigération.  On peut faire calculer aux élèves de seconde, en quelques minutes, que s'ils vident un bol de soupe dans l'océan, et qu'ils attendent assez longtemps pour que le liquide se répande tout autour de la planète, un jour chaque bouteille d'eau remplie dans une rivière contiendra des molécules de cette soupe.

   J'espère que nous nous éloignons peu à peu de la métaphore des tiroirs alignés au muséum d'histoire naturelle, avec leurs étiquettes manuscrites, des planches de papillons punaisés, des catégories, des nomenclatures, pour mettre en avant les cycles, les interconnections, l'interdisciplinarité. A une époque où l'information circule à grande vitesse, nous avons encore souvent une approche segmenté du monde. Quand nous mangeons un repas, nous ne voyons pas dans notre assiette les photons qui ont mis un million d'années pour sortir du soleil afin de pouvoir faire grandir une laitue, les masques portés par les travailleurs dans les vergers quand ils aspergent les pommes de pesticides, les kilomètres de transport de la tomate, le détergent qui partira dans les égouts pour faire la vaisselle, et tous les emballages jetés à la fin de la journée. Nous savons tout cela, mais l'information est rangée dans nos cerveaux comme au musée d'histoire naturelle, comme dans les chapitres et sous chapitres des manuels scolaires. Dans le programme de quelle "matière" pouvons-nous inclure l'histoire qui suit, où s'entremêlent des lignes pluridisciplinaires: la main mise de compagnies agro-alimentaire, pétrolières et pétro-chimiques, la santé publique, l'exploitation des travailleurs dans les pays en voie de développement, le rôle de la recherche universitaire, le droit de patenter le vivant, la destruction de la couche d'ozone, les émissions de CO2 et l'art culinaire?

   Un midi je regardais une tomate, et je me suis demandé: d'où vient-elle? La graine a été plantée dans un pays pauvre, sur une terre qui appartenait à une coopérative agricole, récemment rachetée par un grand groupe agroalimentaire. Il s'agit d'une variété hybride développée dans une université occidentale, mais patentée par une compagnie privée. Le champ est traité au bromure de méthyle, un destructeur de couche d'ozone bien plus puissant que le CFC. Ensuite des ouvriers agricoles sous-payés épandent des pesticides Monsanto sans gants ni masque de protection. De toutes façons, ils n'ont pas d'assurance santé. Les déchets de la production sont envoyés à des centaines de kilomètres dans une décharge. Les tomates sont emballées dans du plastic fabriqué avec du chlore dans un autre pays, dans une petite ville où les habitants ont un taux excessivement élevé des cancers. Elles sont ensuite placées dans des boites en carton. Le carton est importé du Canada, à partir d'arbres vieux de 300 ans. Dans le lac à côté de l'usine à papier, les poissons sont contaminés à la dioxine. Les tomates, mûries à l'éther, sont amenées à destination dans des camions frigorifiques. Les emballages seront jetés, puis transportés sur des centaines de kilomètres pour être incinérés. La tomate, quant  à elle, n'a aucune goût et une texture farineuse. Mais il paraît qu'elle contient quelques nutriments. (D'après Peter Bahouth).

   Nous avons le choix de tracer des lignes qui transpercent les boîtes, qui croissent, qui s’emmêlent en réseaux, comme une forêt tropicale qui reprend le dessus sur un village abandonné.  Pour les enseignant(e)s, cela signifie parfois annoter les programmes du Ministère, prendre des risques, entrer en résistance. 

Coyote

   Une de mes professeures de pédagogie d'origine Mohawk, que j'appèlerai Coyote, avait l'habitude de nous répéter cette phrase mystérieuse :
« It is not about either/or, it is about both/and. »8
« It is not about either/or, it is about both/and. »
« It is not about either/or, it is about both/and. »

Un jour, elle a ajouté :
« Life is not about black or white,
right or wrong.
Life happens in the folds, in between. »9


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1 Massive Online Open Courses
2 En anglais « bullet » veut dire balle de révolver.
3 La compétition et ses écueils ne sont pas le propre de notre époque. On peut se demander pourquoi, par exemple, personne ne se rappelle de Regiomontanus, scientifique du 15e siècle qui a re-découvert la trigonométrie, ré-introduit le logique dans les travaux scientifiques, les chiffres décimaux et a construit le premier observatoire en Allemagne. Pour propager la connaissance, il créa la première imprimerie scientifique et inventa les figures explicatives. On peut penser à Benedetti, le physicien le plus intéressant du 16e siècle, qui, trop timide, fut pillé puis oublié.
4 Fondateur de l'Alliance for Wild Ethics.
5 Shanon, 1976 et Kaiser and Proffitt 1984
6 Environ 3500 ans avant J.C . La tablette de Dispilio (Grèce) placerait l'invention de l'écriture au néolithique.
7 Quest University, Squamish, British Columbia.
8 Cette phrase est difficile à traduire. Le sens que je lui donne est : il faut s'éloigner du « ça ou ça », cultiver le « et / ensemble ».
9La vie n'est pas une histoire de noire ou blanc, vrai ou faux, bon ou mauvais. La vie se passe dans les replis, entre les extrêmes.

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