Exercice de style

Je vous engage à écrire une rédaction de physique, pour

le plaisir. Voici la mienne. Je me suis beaucoup amusée.



Interactions

   Assise dans mon sofa, j'interagis avec la gravité de ma
planète, avec le tissu soyeux des cousins, avec l'air qui
enveloppe mon corps et pénètre mes poumons. Un rayon de
soleil me réchauffe le dos. Chaque seconde, chaque centimètre
carré de ma peau est traversé par une centaine de milliards de
neutrinos provenant du soleil. Des ondes électromagnétiques me
traversent de part en part : la wifi, la base de mon téléphone
main libre, chaînes de télévision, explosions d'étoiles, trou noir
géant au coeur de la Voie Lactée, artéfact du Big Bang. Des
ondes mécaniques aussi : un corbeau coasse, ma voisine joue du
piano, faisant entrer mes tympans en vibration. Sans oublier la
pluie qui tombe de la gouttière sur les jonquilles.

   Je suis un être biologique producteur de gaz carbonique
(mes poumons, mon lave-linge qui tourne), qui digère des
plantes et des animaux dans une maison en bois. J'héberge un
immense et mystérieux microbiome de 100 trillion de bactéries,
1000 pour chaque neurone de mon cerveau. Le métal de ma
lampe et de mon ordinateur ont été extrait des entrailles de la
Terre, après avoir détruit des centaines d'êtres vivants qui
habitaient dans l'hummus de la mine à ciel ouvert.

   La troisième loi de Newton, ou loi des actions
réciproques, nous parle d'un monde où les corps sont
interconnectés. Une force ne peut pas être seule, elle appartient
forcément à une paire, une interaction. Quand j'étais petite fille,
j'adorais poser ma tête sur l'épaule de ma grand-mère pendant
qu'elle faisait ses mots croisés. Je pouvais sentir ses os, elle
pouvait sentir mon crâne qui pressait contre sa chair : nous
créions une paire de forces égales et opposées : une interaction.
Le Soleil attire la Terre, c'est ce qui la maintient en
orbite. La Terre attire tout autant le Soleil, mais cela n'affecte
pas beaucoup ce dernier qui est 300,000 fois plus massif que
notre planète. Il aurait fallu que la Terre soit aussi lourde que
Jupiter pour forcer le Soleil à danser en petits cercles.
A l'école, je jouais souvent à la « carotte » avec Marion.
On se tenait les mains, les bras croisés, et on tournait le plus vite
possible, retenant chacune le corps de l'autre pour ne pas tomber.
Encore une interaction formées de deux forces égales et
opposées. De même quand je promène mon chien.

   Dans mon salon, je remarque des interactions partout :
une statue presse sur le bois du buffet, et le buffet porte la
lampe. La table basse interagit avec le plancher. Le pot de fleur
et le rebords de fenêtre. Les livres et l'étagère. Le chat et la
chaise. Au niveau microscopique, les molécules du pelage du
chat ne peuvent pas pénétrer dans les molécules de paille de la
chaise, contrairement à ce qui se passe quand on râpe du
gruyère.

   Quand je pétris de la pâte à tarte ou que je joue avec de
l'argile, les interactions sont capables de déformer de la matière.
Quand je m'assoie sur le lit de ma fille, les ressorts du sommier
se contractent et me soutiennent. Quand je frotte mes mains
l'une contre l'autre, leur interaction produit de la chaleur. Frotter
combiné avec un peu de chimie peut produire une étincelle,
comme sur un grattoir à allumette.

    Ce qui me fascine le plus dans les forces de contact, c'est
quand elles s'ajustent au contexte. Je pose un gros livre sur la
table, la table réagit en produisant une force suffisante pour le
soutenir. Si j'ajoute un deuxième livre, la table doublera sa force,
un troisième livre, elle triplera sa force, etc.
Quand il fait bien chaud, que je me baigne au lac, j'aime
en sortant de l'eau m'allonger sur les grands rochers pentus et
brûlants. Chaque point de contact entre ma peau et la pierre nous
permet d'interagir.

Paresse

   Les lueurs de l'aube commencent à peine à percer à
l'horizon, elles colorent de rose l'armoire à confitures (pourquoi
rose ? le soleil n'est pas rose). Je traverse la cuisine avec un
grand bol de café au lait dans les mains. Il est plein à rabord. Je
marche sur un copeau de verre et je m'arrête subitement. Le café
au lait s'échappe par l'avant du bol. Il est paresseux, il n'a pas
aimé ce changement subit de mouvement. Il aurait préféré
continuer dans la même direction, à la même vitesse. Inertie
veut dire paresse. C'est une propriété des objets que l'on ne peut
pas vraiment expliquer. La nature est ainsi. Quand vous
démarrez une brouette pleine de caillou, elle n'a pas envie de
bouger, et quand vous voulez l'arrêter, elle a envie de continuer.
C'est la même chose avec un caddie au super marché. Mon corps
aussi est paresseux. Quand je suis assise dans une voiture et que
le conducteur prend un virage vers la gauche, mon corps essaie
de continuer en ligne droite pour ne pas changer de mouvement,
et je me retrouve écrasée contre la portière.

   Pourquoi l'inertie ne pourrait-elle pas être considérée
comme une force, si elle est capable de maintenir le mouvement
d'un objet ? Parce qu'elle est seule, il n'existe pas de force égale
et opposée avec laquelle elle pourrait former une paire, une
interaction.

La course sans fin des astéroïdes

   Dans un monde imaginaire sans frottements, une boule
de bowling pourrait rouler indéfiniment sur un sol plat infini.
Pour le comprendre, Galilée fit le raisonnement suivant : si je
penche une planche à découper et que je lâche une bille placée
en haut, la bille va rouler en prenant de la vitesse. Si je lance la
bille depuis le bas de la planche, elle va grimper en perdant de la
vitesse. Dans le cas entre les deux, où la planche est plate, la
bille devrait rouler avec une vitesse constante.

   Mais quand est-il d'un objet qui serait libre de l'action de
toute force extérieure, ou presque ? Imaginons un astéroïde qui,
il y a très longtemps, fût percuté par un autre astéroïde. Le voici
maintenant qui traverse le système solaire à vive allure et
dépasse l'orbite de Pluton. Plus il s'éloigne, moins il ressent
l'attraction gravitationnelle du Soleil. Lorsqu'il sera quasiment
libre de toute force, il continuera sa course pour toujours, en
ligne droite et à vitesse constante, à moins qu'il ne se mette à
interagir avec une planète ou une étoile. Mais ceci est une vue
de l'esprit. Dans la vraie vie, l'astéroïde se meut dans des nuages
ténus de gaz et de poussière qui finiront par le ralentir.


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